Clément Montes est doctorant au CREST-École polytechnique depuis 2022 sous la supervision d’Alessandro Riboni. Sa recherche se situe dans le domaine de la géo-économie et des échanges internationaux, avec un focus sur les sanctions économiques.
Sa thèse porte sur les sanctions économiques dites smart qui ciblent spécifiquement des entreprises. À partir de la typologie des sanctions proposée par la Global Sanction DataBase (GSDB), recensant les mesures adoptées à l’échelle mondiale, on constate que ce type d’instrument a été largement mobilisé au cours de la dernière décennie. Cependant, les bases de données existantes ne fournissent pas d’informations détaillées sur les cibles à l’intérieur d’un pays. Cette limite rend difficile l’évaluation de l’impact des sanctions, faute de connaître avec précision le secteur d’activité et les caractéristiques des entreprises visées.
Clément a ainsi constitué une nouvelle base de données recensant les entreprises spécifiquement sanctionnées par l’Union européenne (UE). Dans un premier temps, cette base, nommée Firm Sanction DataBase (FSDB), enrichit la liste accessible sur le site de l’UE en ajoutant des variables telles que la localisation des entités et le calendrier des sanctions (e.g. menace, début, pause, fin de la sanction). En agrégeant les informations de la FSDB, on retrouve les principales tendances observées dans la GSDB. Ces nouvelles informations mettent en évidence trois biais récurrents dans l’estimation de l’impact d’une sanction économique.
- Supposer que toutes les entités visées par une sanction contre un pays se trouvent effectivement sur son territoire conduit à une mauvaise classification d’environ 23% des entités répertoriées dans la FSDB. Cette hypothèse, fréquemment utilisée dans la littérature en raison du manque de données, peut donc biaiser les analyses.
- Ignorer les programmes de sanction dont les noms ne correspondent pas à un pays revient à ignorer les sanctions de 21% de la FSDB. Par exemple, les programmes relatifs à la cybersécurité, aux droits humains ou au terrorisme ne permettent pas d’associer directement une sanction à un pays donné, et ne sont donc pas étudiés. Néanmoins, ces programmes concernent également des entreprises situées dans les cibles habituelles de l’Union européenne.
- Postuler que les entreprises prennent connaissance de leur sanction le jour de son entrée en vigueur revient à négliger leurs anticipations stratégiques. En réalité, l’écart temporel entre la menace de sanction et sa mise en application laisse en moyenne deux mois aux firmes pour ajuster leur comportement. Cet intervalle peut aller jusqu’à un an. Ce constat est encore plus marqué dans le cas des sanctions secondaires : si l’on suppose qu’une entreprise anticipe sa propre sanction dès lors qu’un de ses partenaires commerciaux est visé, la période d’anticipation est en moyenne de un an et demi, mais peut s’étendre jusqu’à douze ans.
Dans un second temps, la FSDB enrichit la liste publique de 1,900 entreprises actuellement sanctionnées en ajoutant environ 1,500 entités supplémentaires, identifiées dans les archives de l’UE, dont les sanctions ont depuis été levées. La FSDB recense également les justifications associées à l’instauration et, le cas échéant, à la levée des sanctions pour chaque entité. Ces variables permettent ainsi d’analyser les motivations politiques sous-jacentes à chaque régime de sanctions.
L’analyse du vocabulaire des textes justifiant la levée des sanctions des 1,500 entités délistées montre que cette levée traduit, dans une certaine mesure , le succès de la coercition exercée sur la cible. Ainsi, le retrait d’une entreprise d’un programme de sanctions reflète une amélioration des résultats politiques du programme considéré, à l’échelle macroéconomique.
Figure 1 - Évolution journalière du taux de succès des sanctions européennes par objectifs politiques
Note : La figure illustre la proportion d’entreprises retirées parmi l’ensemble des entités sanctionnées pour un objectif donné. Une même entité peut être visée par plusieurs objectifs politiques. Ainsi, une entité sanctionnée pour deux objectifs est, par exemple, comptabilisée pour moitié dans chacun d’eux.
La FSDB permet d’analyser la proportion d’entreprises retirées de chaque programme et que l’on peut interpréter comme un indicateur du degré de réussite des sanctions. La figure 1 illustre l’évolution dynamique de cet indice. Le graphique met en évidence que certains objectifs politiques, tels que la défense des droits humaines ou la lutte contre le terrorisme, semblent produire des résultats politiques plus significatifs que ceux visant à endiguer des conflits armés ou à protéger la cybersécurité européenne.
Référence
Felbermayr, G., Kirilakha, A., Syropoulos, C., Yalcin, E., & Yotov, Y. V. (2020). The global sanctions data base. European Economic Review, 129, 102561.
Cet article s’inscrit dans l’évènement Les Rencontres Cybersécurité et Défense de l’Institut Polytechnique de Paris organisé le 21 octobre 2025. Un évènement proposé en partenariat avec le Centre Interdisciplinaire d’Études pour la Défense et la Sécurité (CIEDS) soutenu par le ministère des Armées et l’Agence de l’innovation de défense, ainsi que la chaire Cyber et souveraineté numérique – IHEDN, rattachée à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale à travers son Fonds de dotation.